Solution
Si, sauf excès de pouvoir, un appel immédiat de l’ordonnance du Juge de la mise en état accordant ou refusant une injonction de communication de pièces est irrecevable, il en est autrement en cas d’’atteinte éven-tuelle aux droits des tiers, concernés par une mesure de communication de leurs données personnelles à des parties à un litige, une telle atteinte ne pouvant plus, une fois les pièces communiquées, être utilement réparée par un contrôle postérieur.
Impact
En prenant appui sur les articles 5 et 6 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), la Cour de cassation juge désormais que l’appel à l’encontre de telles décisions est immédiatement recevable tout en imposant au juge un contrôle minutieux dans l’administration de la preuve.
Cass. soc., 9 avr. 2025, n° 22-23.639, FS-B : JurisData n° 2025-004249
[…]
Vu les articles 5 et 6 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD) et les articles 788, 789, 5° et 795, alinéa 2, du Code de procédure civile :
14. D’abord, il résulte du dernier de ces textes que les ordonnances du juge de la mise en état ne peuvent être frappées d’appel ou de pourvoi en cassation qu’avec le jugement sur le fond. Il a été jugé que l’irrecevabilité d’un appel immédiat s’applique à l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance accordant ou refusant une injonction de communication de pièces (2e Civ., 7 octobre 1992, pourvoi n° 91-11.120, Bull. 1992, II, n° 227). Il n’est dérogé à cette règle qu’en cas d’excès de pouvoir (Soc., 27 janvier 1999, pourvoi n° 96-44.460 ; 2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n° 19-16.216).
15. Toutefois, il découle des principes rappelés aux paragraphes 7, 8, 9 et 10 que l’atteinte éventuelle aux droits des tiers, concernés par une mesure de communication de leurs données personnelles à des parties à un litige, fondée sur les dispositions de l’article 789, 5°, du Code de procédure civile, doit nécessairement faire l’objet d’un examen par le juge avant l’exécution de la mesure au regard des droits reconnus par le RGPD, une telle atteinte ne pouvant plus, une fois les pièces communiquées, être utilement réparée par un contrôle postérieur.
16. Par conséquent, afin de garantir l’effectivité de l’application du droit de l’Union européenne et, plus précisément, du règlement précité, il convient de juger désormais que l’appel à l’encontre d’une décision, statuant sur une demande de communication forcée de pièces contenant des données à caractère personnel de tiers entrant dans le champ d’application matériel du RGPD, est immédiatement recevable.
[…].
21. En l’espèce, pour déclarer irrecevable l’appel de la société contre l’ordonnance du juge de la mise en état lui enjoignant de communiquer les historiques de carrière et les bulletins de salaire des salariés embauchés à plus ou moins deux ans par rapport à l’année d’embauche des huit salariées présentées par le syndicat, l’arrêt retient qu’en application de l’article 795 du Code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état ne peuvent être frappées d’appel ou de pourvoi en cassation qu’avec le jugement statuant sur le fond. Il ajoute que le juge de la mise en état a ordonné une mesure d’instruction en application des dispositions de l’article 789, 5° du Code de procédure civile et qu’à cet égard, au regard de la demande de production de pièces, il n’est nullement argué d’une impossibilité juridique notamment au regard de la violation d’un quelconque secret.
22. Il ajoute que la communication des bulletins de paie relative-ment à la production d’un panel relève du droit à la preuve et donc de l’examen par le juge du fond et qu’il en est de même s’agissant des moyens concernant le caractère manifestement disproportionné de la mesure d’investigation ordonnée et de l’empêchement légitime à fournir les pièces demandées.
23. En statuant ainsi, alors qu’elle devait déclarer l’appel immédia-tement recevable à l’encontre de la décision ayant ordonné la communication de pièces contenant des données à caractère personnel de tiers et qu’il lui appartenait de procéder au contrôle énoncé aux paragraphes 18, 19 et 20, en particulier en veillant au principe de minimisation des données à caractère personnel et en faisant injonction aux parties de n’utiliser ces données, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination, la cour d’appel a violé les textes susvisés […].
NOTE : Changement de cap
Soucieuse des termes d’un article 795 du Code de procédure civile qui conditionne restrictivement l’appel des ordonnances du juge de la mise en état, la Cour de cassation commence bien sûr par rappeler sa jurisprudence immuable (jusqu’à ce 9 avril) selon laquelle l’appel immédiat de ses ordonnances statuant en matière de communication de pièces est prohibé. Qu’il fasse droit ou non à cette demande, sous astreinte ou non, seule la démonstration d’un excès de pouvoir du Juge de la mise en état autoriserait un recours par la voie de l’appel-nullité. Comme le vise dans cet arrêt la chambre sociale, ainsi serait-il consacré s’il ordonnait l’écart de pièces, compétence appartenant au seul tribunal, le pouvoir de statuer sur la communication de pièces n’étant pas celui d’ordonner leur retrait (Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-16.216, F-P : JurisData n° 2021-004003 ; Procédures 2021, comm. 126, obs. R. Laffly). Aussi, la communication de pièces ordonnée sans démonstration d’un excès de pouvoir n’autorise qu’un appel différé avec le jugement au fond. Mais l’enjeu n’était pas traditionnel ici. Le tribunal judiciaire était saisi d’une action de groupe par des syndicats reprochant à une société de pratiquer une discrimination en raison du sexe envers des salariées et anciennes salariées par la présentation de huit cas individuels. Le Juge de la mise en état avait enjoint à la société de communiquer, pour chacune, la date de naissance, le sexe, le niveau de qualification à l’embauche, les dates de passage aux niveaux de classification supérieurs et les niveaux de classification, le salaire brut mensuel de chaque année, en décomposant le salaire de base, les primes fixes et les éléments de rémunération variable de toute nature et les bulletins de paie de décembre depuis leur date d’embauche. La Cour de Versailles avait jugé l’appel irrecevable, logiquement dirait-on, et le pourvoi formé dans la foulée n’augurait rien de bon, les voies de recours n’ayant pas été prises sous l’angle de l’appel-nullité et du pourvoi-nullité. La chambre sociale décida donc, en amorce de son arrêt et afin de garantir l’effectivité de l’application du droit de l’Union européenne et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD), de déclarer le pourvoi immédiatement recevable à l’encontre de cette décision, « sans limiter l’ouverture du pourvoi à un excès de pouvoir consacré ou commis par le juge ».
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PROCÉDURES – N° 06 – JUIN 2025 – © LEXISNEXIS SA