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Appel unique d’une partie tenue à garantie, photographie d’une procédure complexe à développer

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Publié le 15.07.2025

Saisie de l’appel d’une partie condamnée à garantir une autre partie de la condamnation prononcée à son encontre à l’égard d’une troisième partie, en l’absence d’appel de la condamnation principale relevé par ces parties, la cour d’appel peut seulement, s’il n’a pas été constaté d’indivisibilité du litige ou de lien juridique entre la partie condamnée à garantie et le créancier principal, statuer sur l’existence et le montant de la garantie.

Un photographe spécialisé dans les paysages maritimes du bassin d’Arcachon avait assigné en réparation des utilisations contrefaisantes de son oeuvre la société Andernos Côté Bassin qui avait reproduit sans son accord l’une de ses photographies sur des supports publicitaires. La société défenderesse appela en intervention forcée son assureur, Albingia, et la société Mad Studio qui avait réalisé les supports publicitaires, la société de presse Andernos Publication qui avait fourni à cette dernière la photographie litigieuse intervenant volontairement à l’instance. Le tribunal judicaire condamna la société Andernos Côté Bassin à payer au photographe la somme de 21 615 € au titre de l’indemnisation de ses droits patrimoniaux et moraux sur son oeuvre contrefaite, les sociétés Mad Studio et la société de presse Andernos Publication étant condamnées, à hauteur de 50 % chacune, à la relever et garantir. La société de presse Andernos Publication releva appel devant la Cour d’appel de Bordeaux en intimant le photographe, les sociétés Andernos Côté Bassin, Mad Studio et Albingia. Par arrêt du 6 juin 2023, la cour d’appel infirma partiellement le jugement en ce qu’il avait condamné la société Andernos Côté Bassin à payer au photographe la somme de 21 615 € et abaissa cette somme à 6 670,30 €, le jugement étant confirmé pour le surplus. Saisie d’un pourvoi par le photographe, la première chambre civile, au visa des articles 4 et 553 du code de procédure civile, procède à un recadrage :

« 6. Il résulte de ces textes que, saisie de l’appel d’une partie condamnée à garantir une autre partie de la condamnation prononcée à son encontre à l’égard d’une troisième partie, en l’absence d’appel de la condamnation principale relevé par ces parties, la cour d’appel peut seulement, s’il n’a pas été constaté d’indivisibilité du litige ou de lien juridique entre la partie condamnée à garantie et le créancier principal, statuer sur l’existence et le montant de la garantie. 7. L’arrêt infirme le jugement en ce qu’il a condamné la société [Localité 6] côté bassin à payer à M. [G] la somme de 21 615 €, au titre de l’indemnisation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux sur son oeuvre contrefaite et limité le montant de cette condamnation à la somme de 6 670,30 €. 8. En statuant ainsi, alors qu’elle n’était pas saisie d’un appel de cette condamnation par la société [Localité 6] côté bassin et M. [G] et qu’elle n’a retenu ni indivisibilité entre les chefs de dispositif relatifs à cette condamnation et à la condamnation à garantie prononcée à l’égard des sociétés [Localité 6] publication et Mad studio, ni lien juridique entre ces sociétés et M. [G], la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Y’a pas photo

Toutes les parties à la première instance avaient été intimées devant la Cour de Bordeaux. Là est sans doute l’intérêt saillant de cette solution tant la problématique habituelle est, le plus souvent, celle de l’effet dévolutif et de l’indivisibilité du litige alors qu’une partie n’a pas été intimée en cause d’appel. En cas de litige indivisible, on sait en effet que l’irrecevabilité de l’appel est encourue si une partie a été omise sur l’acte d’appel comme le rappela encore récemment la chambre commerciale en matière de jugement arrêtant le plan et désignant le commissaire à l’exécution du plan qui ne met pas fin aux fonctions du mandataire judiciaire pour le temps nécessaire à la vérification des créances (Com. 2 oct. 2024, n° 23-18.665 F-B, Dalloz actualité, 13 nov. 2024, obs. R. Laffly ; RCJPP 2024, n° 06, p. 20, obs. C. Simon ), dernière itération sur le sujet par la Haute juridiction en procédure collective, matière intrinsèquement indivisible. Mais corollaire direct de cette exigence, on en connaît aussi l’avantage : la possibilité d’une régularisation presque ad vitam si le premier appel a bien été formé dans le délai (Civ. 3e, 23 juin 1999, n° 97-22.607 P ; Civ. 1re, 5 oct. 1994, n° 92-20.149, D. 1995. 358 , note J. Massip ; RTD civ. 1995. 327, obs. J. Hauser ; Civ. 2e, 7 sept. 2017, n° 16-20.463, Dalloz actualité, 21 sept. 2017, obs. R. Laffly), pourvu que ce soit avant l’audience de plaidoirie (Civ. 2e, 23 mars 2023, n° 21-19.906 F-B, Dalloz actualité, 19 avr. 2023, obs. R. Laffly ; AJ fam. 2023. 248, obs. F. Eudier et D. D’Ambra ).

Alors disons-le d’emblée, si tel avait le cas, la solution (et son commentaire !) eût été bien plus simple à appréhender. Car c’est peu dire qu’avocats et juges de la cause avaient ici de quoi trébucher. Ce qui n’a pas manqué d’arriver.

Grand angle

À Bordeaux, munis d’objectifs différents, toutes les parties se retrouvaient à nouveau à hauteur d’appel. Certaines sollicitaient une réformation quand les autres s’en rapportaient ou demandaient une confirmation.

Seule la société de presse Andernos Publication, condamnée à relever et garantir la société Andernos Côté Bassin, elle-même condamnée en première ligne à payer au photographe la somme de 21 615 €, avait interjeté appel. Dès lors, et c’était le moyen soutenu par celui-ci qui avait vu la condamnation de la société Côté Bassin à son profit abaissée sensiblement, seul pouvait être discuté par la société appelante le principe ou le montant de la condamnation mis à sa charge alors que l’arrêt d’appel avait infirmé partiellement le jugement en ce qu’il avait condamné la société Andernos Côté Bassin à payer au photographe la somme de 21 615 € au titre de l’indemnisation de ses droits patrimoniaux et moraux sur son oeuvre contrefaite, pour ne condamner cette même société qu’à lui verser la somme de 6 670,30 € au même titre. La cassation intervient au visa des articles 4 et 553 du code de procédure civile alors qu’il résulte de ces textes, selon la première chambre civile, que, saisie de l’appel d’une partie condamnée à garantir une autre partie de la condamnation prononcée à son encontre à l’égard d’une troisième partie, en l’absence d’appel de la condamnation principale relevé par ces parties, la cour d’appel peut seulement, s’il n’a pas été constaté d’indivisibilité du litige ou de lien juridique entre la partie condamnée à garantie et le créancier principal, statuer sur l’existence et le montant de la garantie.

La question à résoudre était finalement celle-ci : la société Andernos Publication, appelante, qui avait été condamnée à garantir les condamnations prononcées en première instance, était-elle recevable à critiquer le chef de dispositif condamnant seule la société Andernos Côté Bassin à indemniser un tiers, le photographe, alors qu’aucune de ces deux parties n’avait interjeté appel du jugement sur ce point ?

Double exposition

Des deux visas dans le viseur de la Cour de cassation, commençons par l’indivisibilité du litige qui ne pouvait prospérer dès lors que l’ensemble des parties était présent sur l’acte d’appel et que n’était avancé, ce qui en constitue le symptôme, aucun risque de contrariété de décisions ou une impossibilité d’exécuter simultanément plusieurs chefs de dispositifs de jugements dans un même litige (Civ. 2e, 7 janv. 2016, n° 14-13.721, Dalloz actualité, 19 janv. 2016, obs. M. Kebir ; 5 janv. 2017, n° 15-28.356 ; 13 juin 2024, n° 22-14.381, F-D, Procédures 2024. Comm. 195, obs. R. Laffly). Propre à l’appel, le fondement précité de l’article 553 du code de procédure civile, qui dispose qu’« En cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel de l’une produit effet à l’égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l’instance ; l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance », peut révéler des conséquences dévastatrices lorsqu’il ne reçoit pas application comme en l’espèce. Pourtant, les avocats appréhendent le plus souvent l’indivisibilité comme un risque, au contraire d’obligations divisibles qui semblent, à tort, autoriser plus de souplesse dans la conduite du procès. Car c’est parfois tout l’inverse, et l’application de la règle peut parfois conduire, comme au cas présent lorsque l’indivisibilité n’est pas constatée, à des effets de bord ravageurs alors que l’image de départ semblait stabilisée. Ainsi, en l’absence d’impossibilité de poursuivre simultanément l’exécution du jugement ayant condamné un assureur et l’arrêt mettant hors de cause son assuré, l’appel de celui-ci ne pouvait produire effet à l’égard de son assureur qui n’avait pas constitué devant la Cour, solution conduisant l’assureur condamné à payer des condamnations totalement infirmées en appel et alors même que son assuré se trouvait exonéré de toute responsabilité (Civ. 2e, 17 nov. 2022, n° 20-19.782 FS+B, Dalloz actualité, 6 janv. 2023, obs. R. Laffly ; D. 2022. 2046 ).

Quant au visa de l’article 4 du code de procédure civile, disposition commune cette fois à toutes les juridictions et mis en exergue par l’arrêt, il précise que « L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». Son application peut être subtile et il n’était pas impossible que l’effet dévolutif, en pareille situation et en présence donc de toutes les parties, résonnât différemment si celles-ci avaient entendu conclure différemment devant la Cour d’appel de Bordeaux. La première condition expresse consistait en ce que leurs prétentions ne soient pas entendues comme des demandes nouvelles, impliquant pour cela qu’une partie ne dirige pas de prétentions pour la première fois en appel contre une autre. Cela vaut pour la partie défenderesse comme demanderesse en première instance, le photographe intimé ne pouvant par exemple solliciter pour la première fois en cause d’appel la garantie d’une partie contre laquelle il n’avait pas conclu devant le tribunal judiciaire. La seconde condition dépendait ensuite du dispositif des conclusions des parties qui saisissait la cour. Or, leur lecture résultant de l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux permet de constater que la société Andernos Publication, appelante, sollicitait l’infirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions, d’être déchargée de toutes condamnations, lesquelles ne pouvaient excéder selon elle la somme de 1 587,60 €. La société Mad Studio demandait pour sa part l’infirmation du jugement en ce que la société Andernos Côté Bassin avait été condamnée à payer la somme de 21 615 € et qu’elle était tenue à la garantir, avec la société Andernos Publication, à hauteur de 50 % chacune et, statuant à nouveau, de limiter l’indemnisation du photographe, également, à la somme de 1 587,60 €. La société Andernos Côté Bassin et la société Albingia, son assureur, concluaient l’une et l’autre à ce qu’il soit statué ce que de droit quant à l’infirmation sollicitée par la société Andernos Publication aux fins de la limitation indemnitaire à 1 587,60 € et confirmer le jugement pour le surplus. Quant au photographe, enfin, il demandait à la cour qu’elle constate le caractère définitif de la condamnation de la société Andernos Côté Bassin à hauteur de 21 615 €, de juger irrecevables et à tout le moins infondées les autres demandes.

Restait à articuler le tout, c’est-à-dire à mettre en lumière chacune des prétentions pour dégager une solution cohérente dans ce litige qui n’était pas indivisible et dans lequel ni le créancier principal, ni son obligé principal, ne sollicitaient de réformation.

Y’a photo

Dans cette affaire qui n’était donc pas indivisible, les chefs de dispositifs s’exécutant indépendamment les uns des autres, et dans lequel aucun lien juridique n’existait entre un photographe, demandeur principal et intimé sur l’acte d’appel, et les sociétés Andernos Publication et Mad Studio, appelante et intimée tenues à garanties, le flou était de mise. Au jour de l’appel, la situation était en effet évolutive selon ce que les parties décideraient de conclure et de contester par la voie d’un appel principal ou d’un appel incident.

Mais en l’état, la cour d’appel ne pouvait modifier le dispositif du jugement dès lors que ni le photographe, seul et unique créancier, ni la société Andernos Côté Bassin, condamnée à titre principal, n’avaient relevé appel du jugement. On ajoutera que les conclusions attestaient que le photographe n’avait pas formé d’appel incident et ne sollicitait pas qu’il lui soit alloué une somme supérieure tandis que la société Andernos Côté Bassin et son assureur avaient demandé à la cour uniquement à ce qu’il soit statué ce que de droit quant à l’infirmation sollicitée par la société Andernos Publication aux fins de la limitation indemnitaire à 1 587,60 € et confirmer le jugement pour le surplus. Aucune demande de réformation n’était sollicitée par ces parties ce dont il se déduisait qu’en l’absence d’appel principal de leur part ou d’appel incident par voie de conclusions, et ce, indépendamment des demandes de réformation des parties tenues à garantie, la cour ne pouvait modifier le dispositif définitif entre le créancier principal et le débiteur principal. Dit autrement, les sociétés tenues à garantie ne pouvaient plaider une réformation que les principaux intéressés ne sollicitaient pas.

L’appréhension de la situation procédurale, qui n’était donc aucunement figée au jour de l’appel et pouvait évoluer en cours de procédure, était d’autant plus subtile à cerner en l’absence d’indivisibilité comme de lien de droit entre un appelant principal tenue à garantie et un créancier principal, tiers à son égard. Elle obligeait à une vision panoramique et empêchait en tous cas que, par capillarité, la prétention de réformation formée par les sociétés condamnées à garantir puissent s’étendre aux deux parties principales, c’est-à-dire à un solvens condamné en premier chef et à un créancier unique qui ne la présentait pas. La cour ne pouvait réformer sur le quantum de la somme déjà allouée au photographe et à laquelle le principal défendeur avait été condamné sans la contester et ne statuer que sur les rapports entre eux, en confirmant de surcroît le jugement pour le surplus. Elle se devait au contraire d’apprécier l’existence et le montant de la garantie des parties effectivement tenues à garanties et qui poursuivaient la réformation.

Les choses étant suffisamment compliquées, personne ne fera le reproche à la première chambre civile d’évoquer in fine le fond sans renvoi afin de donner, bonne administration de la justice oblige, un terme au litige en constatant qu’en l’absence d’appel de la société Côté Bassin ou du photographe, le chef de dispositif du jugement condamnant cette société à payer à celui-ci la somme de 21 615 € est devenu irrévocable et qu’à la suite de l’appel des sociétés Mad studio et Andernos Publication, seule leur condamnation à garantir, à hauteur de 50 % chacune, la société Côté Bassin se trouve limitée à la somme de 6 670,30 €. De ces cinq protagonistes sur la ligne d’arrivée, la photo-finish a fini par livrer ses gagnants et ses perdants.

Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)

Publié par

Romain LAFFLY

Avocat associé

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