Solution
La demande de la caution fondée sur le défaut d’information annuelle, lorsqu’elle tend seulement au rejet de la demande en paiement des intérêts au taux contractuel formée par la banque à son encontre, constitue un moyen de défense au fond qui peut être présenté dans des conclusions ultérieures et n’a pas à être concentrée dans le délai imposé pour le dépôt des premières conclusions.
Impact
Après la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, c’est cette fois la chambre commerciale, financière et économique qui apporte, par cet arrêt destiné à la publication, une nouvelle pierre à l’édifice délicat et instable des moyens et des prétentions.
Cass. com., 18 juin 2025, n° 24-11.243, F-B : JurisData n° 2025-009375
[…]
Vu les articles 71 et 910-4 du Code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction alors applicable, issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :
10. Aux termes du premier de ces textes, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire.
11. Selon le second, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 de ce code, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond.
12. Pour déclarer irrecevables les demandes de Mme [Y] au titre du défaut d’information annuelle de la caution, l’arrêt retient que cette question ne constituait pas une question nouvelle en cause d’appel née de l’évolution des débats, de sorte que Mme [Y] est irrecevable à invoquer la déchéance de la banque du droit aux intérêts dès lors qu’elle a omis de soumettre cette prétention à la cour dans ses premières conclusions du 6 mars 2021.
13. En statuant ainsi, alors que la demande de la caution fondée sur le défaut d’information annuelle, lorsqu’elle tend seulement au rejet de la demande en paiement des intérêts au taux contractuel formée par la banque à son encontre, constitue un moyen de défense au fond qui peut être présenté dans des conclusions ultérieures, la cour d’appel a violé, par fausse application, les textes susvisés […].
NOTE : Terra incognita
« Concentration : une inconnue ». Les premiers mots en ouverture de thèse de Martin Plissonnier plantaient le décor (M. Plissonnier, Concentration et procès civil : LGDJ, 2024). Ils pourraient encore s’accorder, on le verra, au moyen et à la prétention.
Une caution solidaire d’un prêt à une société qui avait été placée en procédure collective avait relevé appel d’une décision du tribunal judiciaire l’ayant déboutée de sa demande relative au caractère manifestement disproportionné du cautionnement et condamnée à payer à la banque une somme de 480 000 €. Devant la cour d’appel de Rennes, la banque intimée avait soutenu l’irrecevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts opposée pour la première fois par l’appelante dans ses conclusions n° 2 et la Cour avait suivi en cela l’argumentation. Bis repetita, la deuxième chambre civile s’était penchée exactement sur la même situation, opposant une banque et une caution, dans laquelle une cour d’appel, Paris cette fois, avait jugé irrecevable la demande de déchéance de la banque pour engagement disproportionné au regard des biens et revenus de celle-ci. Pour la Haute Cour, « en statuant ainsi, alors que l’appelant avait, conformément à l’article 954 précité, mentionné ses prétentions tendant au débouté de la banque, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans le délai de l’article 908 du Code de procédure civile, et que l’article 910-4 ne fait pas obstacle à la présentation d’un moyen nouveau dans des conclusions postérieures, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass. 2e civ., 2 févr. 2023, n° 21-18.382, F-B : JurisData n° 2023-000993 ; Dalloz actualité, 15 mars 2023, obs. R. Laffly ).
Si l’on part du postulat, admis, que les prétentions constituent l’objet de la demande (CPC, art. 4), laquelle constitue le cadre voulu par les parties aux litiges et que les moyens sont les raisons de fait ou de droit dont les parties se prévalent pour fonder leurs prétentions ou leurs défenses, on voit que prétention et moyen fleurtent dangereusement l’une avec l’autre. Dangereusement, car la qualification est déterminante de la recevabilité. La prétention au fond, seule, doit être concentrée au dispositif des conclusions notifiées dans les délais impartis pour conclure tandis que la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et que les moyens doivent impérativement être invoqués dans la discussion mais pas au dispositif des conclusions. Le danger peut venir de toute part, à commencer par la Cour de cassation elle-même, elle qui estime, aussi, que la partie qui entend voir infirmer le chef d’un jugement l’ayant déboutée d’une contestation de la validité d’un acte de procédure, et accueillir cette contestation, doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d’appel (Cass. 2e civ., 4 févr. 2021, n° 19-23.615, F+P+I : JurisData n° 2021-001297 ; Dalloz actualité, 16 févr. 2021, obs. R. Laffly ), avec la même obligation pour celle qui sollicite la réformation d’une décision (qui est une prétention au fond !) mais ne fait état que dans le corps de ses écritures de la nullité de la requête à fin de constat et du constat, laquelle ne constitue pas un moyen de défense en vue de voir débouter l’adversaire de ses demandes, dès lors qu’elle implique que cette nullité soit prononcée, et en conséquence, formalisée dans une prétention figurant au dispositif des conclusions de la partie qui l’invoque.
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PROCÉDURES – N° 08 – AOÛT 2025 – © LEXISNEXIS SA