Solution
Le recours diligenté devant une cour d’appel matériellement ou territorialement incompétente relève des exceptions d’incompétence et non des fins de non-recevoir.
Impact
Par deux arrêts décisifs écartant l’irrecevabilité au profit de l’incompétence, la Cour de cassation opère un revirement en dégageant un principe général qui s’inscrit dans la continuité de ses précédents revirements réalisés en droit des pratiques restrictives de concurrence.
1re esp. : Cass. 2e civ., 3 juill. 2025, n° 21-11.905, FS-B+R : JurisData n° 2025-010245
[…]
Sur le moyen relevé d’office
5. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du Code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l’article 33 du Code de procédure civile, l’article L. 311-15, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et l’article D. 311-12-1, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-912 du 30 août 2019, du Code de l’organisation judiciaire :
6. Aux termes du premier de ces textes, la compétence des juridictions en raison de la matière est déterminée par les règles relatives à l’organisation judiciaire et par des dispositions particulières.
7. Selon le deuxième, des cours d’appel spécialement désignées connaissent des décisions rendues par les juridictions spécialement désignées mentionnées à l’article L. 211-16 du même code, pour connaître de certains litiges relevant du contentieux de la sécurité sociale.
8. Il résulte du troisième que le siège et le ressort des tribunaux judiciaires et des cours d’appel, ainsi spécialement désignés, sont fixés conformément au tableau de l’annexe VIII-III du Code de l’organisation judiciaire.
9. La Cour de cassation juge depuis 2009 (2e Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 06-46.220, publié) qu’une cour d’appel qui, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, constate que l’appel d’un jugement a été formé devant une cour dans le ressort de laquelle n’est pas située la juridiction dont émane la décision attaquée, en déduit exactement que l’appel n’est pas recevable.
10. Toutefois, en ce qui concerne la compétence exclusive attribuée en matière commerciale à certaines juridictions, la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation, qui jugeait depuis 2013 (Com., 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.089, publié) que, la cour d’appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif était sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle devait être relevée d’office (Com., 31 mars 2015, pourvoi n° 14-10.016, Bull. 2015, IV, n° 59) a, dans un arrêt du 18 octobre 2023 (pourvoi n° 21-15.378, publié), jugé que la règle découlant de l’application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2, du Code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l’application des dispositions du I et du II de l’article L. 442-6 de ce code, devenues l’article L. 442-1, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
11. Depuis un arrêt du 29 janvier 2025 (Com., 29 janvier 2025, pourvoi n° 23-15.842, publié), elle juge que la règle d’ordre public découlant de l’application combinée des mêmes articles , désignant la cour d’appel de Paris seule compétente pour connaître des décisions rendues par lesdites juridictions, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
12. Ces évolutions conduisent la deuxième chambre civile de la Cour de cassation à reconsidérer sa jurisprudence, lorsque la déclaration d’appel est remise à une cour d’appel qui n’est pas celle matériellement exclusivement compétente.
13. Il convient, en conséquence de juger désormais que la règle découlant de l’application combinée des articles L. 311-15 et D. 311-12-1 du Code de l’organisation judiciaire, désignant les seules juridictions mentionnées par ce dernier texte pour connaître de l’application des litiges visés à l’article L. 211-16 du même code, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
14. Une telle interprétation est conforme à la lettre de l’article 33 du Code de procédure civile, lequel se réfère à la notion de compétence des juridictions en raison de la matière.
15. Elle est, en outre, de nature à rendre les règles plus simples pour les parties, en mettant fin à une jurisprudence complexe génératrice d’insécurité juridique.
16. Ce revirement de jurisprudence tend à favoriser l’accès au juge d’appel tout en poursuivant l’objectif d’une bonne administration de la justice.
17. Pour déclarer irrecevable la déclaration d’appel, l’arrêt, après avoir constaté que le jugement a été notifié à la société le 26 août 2019, retient que la première déclaration d’appel du 18 septembre 2019 devant la cour d’appel de Douai a interrompu le délai d’appel d’un mois. Elle relève, ensuite, que cet appel a été déclaré irrecevable par ordonnance du 1er octobre 2019 et que cette décision d’irrecevabilité a rendu non avenue l’interruption du délai d’appel, de sorte que la société était forclose en interjetant appel devant la cour d’appel d’Amiens par une nouvelle déclaration le 9 octobre 2019.
18. Si c’est conformément à la doctrine antérieure au présent revirement que la cour d’appel en a déduit que l’appel était irrecevable, celui-ci conduit à l’annulation de l’arrêt attaqué.
[…].
[…]
5. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du Code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles L. 311-1, alinéa 1er, et R. 311-3, du Code de l’organisation judiciaire :
6. Selon le premier de ces textes, la cour d’appel connaît, sous réserve des compétences attribuées à d’autres juridictions, des décisions judiciaires, civiles et pénales, rendues en premier ressort.
7. Aux termes du second, sauf disposition particulière, la cour d’appel connaît de l’appel des jugements des juridictions situées dans son ressort.
8. La Cour de cassation juge depuis 2009 (2e Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 06-46.220, publié) qu’une cour d’appel qui, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, constate que l’appel d’un jugement a été formé devant une cour dans le ressort de laquelle n’est pas située la juridiction dont émane la décision attaquée, en déduit exactement que l’appel n’est pas recevable.
9. Toutefois, en ce qui concerne la compétence exclusive attribuée en matière commerciale à certaines juridictions, la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation, qui jugeait depuis 2013 (Com., 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.089, publié) que, la cour d’appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif était sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle devait être relevée d’office (Com., 31 mars 2015, pourvoi n° 14-10.016, Bull. 2015, IV, n° 59) a, dans un arrêt du 18 octobre 2023 (pourvoi n° 21-15.378, publié), jugé que la règle découlant de l’application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2, du Code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l’application des dispositions du I et du II de l’article L. 442-6 de ce code, devenues l’article L. 442-1, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
10. Depuis un arrêt du 29 janvier 2025 (Com., 29 janvier 2025, pourvoi n° 23-15.842, publié), elle juge que la règle d’ordre public découlant de l’application combinée des mêmes articles , désignant la cour d’appel de Paris seule compétente pour connaître des décisions rendues par lesdites juridictions, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
11. Les évolutions jurisprudentielles opérées par la chambre commerciale concernent la compétence d’attribution exclusive des juridictions spécialisées.
12. Cependant, la question se pose de savoir si la règle d’ordre public relative à la compétence territoriale d’une cour d’appel, prévue à l’article R. 311-3 du Code de l’organisation judiciaire, relève des exceptions d’incompétence ou des fins de non-recevoir.
13. La jurisprudence issue de l’arrêt du 9 juillet 2009 précité a fait l’objet d’importantes critiques de la doctrine. Elle a également été source de complexité pour les praticiens, et de restrictions de l’accès au juge d’appel, que les évolutions postérieures n’ont que partiellement atténuées (2e Civ., 5 octobre 2023, pourvoi n° 21-21.007, publié).
14. Il y a donc lieu de revenir sur cette jurisprudence et de considérer désormais que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente n’est pas sanctionnée par une fin de non-recevoir mais relève des exceptions d’incompétence régies par les articles 75 à 82-1 du Code de procédure civile.
15. Une telle interprétation est conforme à la lettre de l’article R. 311-3 susvisé, comme à celle de l’article 75 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, lequel se réfère à la notion de compétence des juridictions de première instance et d’appel.
16. Les articles L. 311-1 et R. 311-3 mentionnés aux § 6 et 7, dispositions d’ordre public de portée générale du Code de l’organisation judiciaire, confèrent plénitude de juridiction aux cours d’appel, sur l’appel des jugements de leurs ressorts sauf disposition particulière et définissent par là-même une compétence exclusive des cours d’appel.
17. À cet égard, il résulte de l’article 77 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qu’en matière contentieuse, le juge peut relever d’office son incompétence territoriale dans les cas où la loi attribue compétence exclusive à une autre juridiction.
18. Il résulte de ce qui précède que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente relève des exceptions d’incompétence et non des fins de non-recevoir.
19. Ce revirement de jurisprudence tend à favoriser l’accès au juge d’appel en assouplissant le régime des sanctions tout en poursuivant l’objectif d’une bonne administration de la justice.
20. Pour déclarer irrecevable la déclaration d’appel, l’arrêt retient par motifs propres, que la déclaration d’appel du 23 mars 2021 n’a été formée ni dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement du conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, ni dans le délai d’un mois suivant la déclaration d’appel adressée initialement à la cour d’appel de Paris et qui a été déclarée irrecevable. Il ajoute, par motifs adoptés, qu’il résulte des articles 2241, 2242 et 2243 du Code civil, que la demande en justice, même portée devant une juridiction incompétente, interrompt le délai de prescription ainsi que de forclusion, que l’interruption en résultant, qui produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance, est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance ou si sa demande est définitivement rejetée.
21. Si c’est conformément à la doctrine antérieure au présent revirement que la cour d’appel en a déduit que l’appel était irrecevable, celui-ci conduit à l’annulation de l’arrêt attaqué.
[…].
Il en va de certains arrêts comme de certains chiffres, ils pourraient se passer de commentaire.
Ces deux solutions d’ampleur, en 18 et 21 points souvent similaires, à la formulation très enrichie, débouchent sur 2 annulations d’arrêts et s’inscrivent dans le sillage de 3 précédents arrêts de revirement rendus également en formation de Section par la deuxième chambre civile puis la chambre commerciale. Cette praxis de la Haute Cour initiée il y a peu, parfois par petites touches, devait aboutir à un nouveau revirement, en forme d’aboutissement. C’est le cas, voilà 2 arrêts qui disent tout du passé comme du présent, salutaires aussi bien que salvateurs.
Ces deux affaires avaient en commun la saisine d’une cour d’appel incompétente, ratione materiae dans le premier cas (Cass. 2e civ., 3 juill. 2025, n° 21-11.905), ratione loci dans le second (Cass. 2e civ., 3 juill. 2025, n° 22-23.979). Au lieu de saisir la cour d’appel d’Amiens qui dispose d’une compétence spécialisée pour connaître de certains litiges relevant du contentieux de la sécurité sociale, l’appelant avait formé appel devant la cour d’appel de Douai, et plutôt que de relever appel devant la cour d’appel de Versailles, l’appelant d’un jugement du conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt avait saisi la cour d’appel de Paris. Deux erreurs d’aiguillage devant des Cours voisines, deux régularisations postérieures par les appelants, mais deux décisions des cours d’appel effectivement compétentes constatant in fine la tardiveté de ce nouvel appel.
On sait en effet depuis longtemps qu’à la différence de la nullité, la fin de non-recevoir d’ordre public tirée de la tardiveté d’un recours n’est pas interruptive du délai de forclusion de l’appel de sorte que l’appelant ne peut tirer parti du caractère interruptif de son premier appel pour former un nouvel appel (Cass. 2e civ., 1er juin 2017, n° 16-15.568, P+B : JurisData n° 2017-010375 ; Procédures 2017, comm. 178, obs. H. Croze ; Dalloz actualité, 28 juin 2017, obs. R. Laffly ). Soit, mais quid de la saisine d’une juridiction incompétente ? Pour la Cour de cassation, si l’appel devant une Cour incompétente interrompt bien le délai d’appel, cette interruption est, en application de l’article 2243 du Code civil, non avenue lorsque l’appel est définitivement rejeté par un moyen de fond ou par une fin de non-recevoir, privant d’effet le dispositif de l’article 2241 du même code qui précise que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ». Entrait ainsi en piste un deux poids deux mesures difficilement compréhensible et très critiqué en doctrine entre une première instance qui amène le juge qui se déclare incompétent à désigner la juridiction qu’il estime compétente avec renvoi du dossier de greffe à greffe selon une disposition, rappelons-le, commune à toutes les juridictions et une instance d’appel dans laquelle la sanction de la saisine d’une Cour incompétente conduit à l’irrecevabilité. Rien n’y résistait, pas même l’invocation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, alors que l’erreur « territoriale » de la Cour ne devrait pas entraîner l’irrecevabilité du recours mais, face à une exception d’incompétence, conduire à la transmission du dossier de l’affaire à la Cour effectivement compétente par la cour d’appel indûment saisie (Cass. soc. 17 juin 2015, n° 14-14.020 : RTD civ. 2015, p. 931, obs. P. Théry ; GPL 20-22 sept. 2015, obs. C. Bléry). Aussi, si une déclaration d’appel formée devant une Cour incompétente interrompt le délai d’appel, cette interruption est non avenue lorsque l’appel est définitivement rejeté par un moyen de fond ou par une fin de non-recevoir(Cass. 2e civ., 21 mars 2019, n° 17-10.663, P+B : JurisData n° 2019-004160 ; Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. R. Laffly . –- Cass. 2e civ., 27 juin 2019, n° 18-11.471, F-D- : Procédures 2019, comm. 245, obs. H. Croze). Confrontée à un effet interruptif encadré, la seule parade de l’appelant ressortait d’une prise de conscience quasi immédiate le conduisant à former à nouveau appel devant la Cour compétente dans le délai de l’appel qui recommence à courir à compter de la date de son acte d’appel saisissant la Cour incompétente.
Puis, la deuxième chambre civile accomplit un premier revirement-assouplissement : la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d’une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d’appel interrompu par une première déclaration d’appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d’irrecevabilité n’est intervenue (Cass. 2e civ., 5 oct. 2023, n° 21-21.007, FS-B : JurisData n° 2023-016671 ; Procédures 2023, comm. 314, obs. S. Amrani-Mekki ; Dalloz actualité, 19 oct. 2023, obs. M. Barba). Un revirement sous contrôle toutefois, celui de l’article 911-1 du Code de procédure civile (devenu 916) interdisant tout nouvel appel dès lors que l’irrecevabilité a été prononcée.
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