Solution
Si la décision du juge de la mise en état qui a trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier, au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable et que le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, est susceptible d’appel immédiat, il n’en est pas de même de la décision qui alloue une provision pour le procès.
Impact
Si la solution de la deuxième chambre civile ne laisse pas de place au doute lorsque le juge de la mise en état alloue une provision ad litem, elle suscite de nombreuses interrogations s’il refuse de l’allouer en questionnant, inévitablement, l’accès au juge.
[…]
6. Selon l’article 789, 2°, du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour allouer une provision pour le procès.
7. Selon l’article 795, les ordonnances du juge de la mise en état, sont susceptibles d’appel dans les cas et conditions prévus en matière d’expertise ou de sursis à statuer. Elles le sont également, dans les quinze jours à compter de leur signification, lorsque, notamment, dans le cas où le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, elles ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
8. Il en découle que si la décision du juge de la mise en état qui a trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier, au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable et que le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, est susceptible d’appel immédiat, il n’en est pas de même de la décision qui alloue une provision pour le procès.
9. Ayant relevé que les chefs de dispositif frappés d’appel ne statuent pas sur une demande d’expertise ou de sursis à statuer, n’ont pas pour effet de mettre fin à l’instance ni d’en constater l’extinction, ne statuent pas sur une exception de procédure ni sur une fin de non-recevoir, ne se rapportent pas à des mesures provisoires ordonnées en matière de divorce ou de séparation de corps, et enfin n’ont pas trait à une demande de provision pouvant être accordée à un créancier lorsque l’obligation de ce dernier n’est pas sérieusement contestable, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que la provision ad litem ordonnée par le juge de la mise en état, tant en son principe qu’en ses modalités d’application, ne relevait pas des articles 789, 2° et 795, 4°, du Code de procédure civile et que la requête en déféré devait être rejetée.
10. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé […].
Interrogations en chaîne
Que faut-il entendre par « provision » lorsque le texte de l’article 795 du CPC, sans ambages, dispose qu’un appel est possible lorsque, dans le cas où le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, les ordonnances du juge de la mise en état ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ? La solution vise la rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, mais la version modifiée par le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 en vigueur au 1er septembre 2024 n’y change rien, le texte restant identique sur ce point (CPC, art. 795, 4°). La Cour de cassation tranche cette délicate question en collant aux textes : est exclue de l’appel immédiat la décision qui alloue une provision pour le procès, la fameuse provision ad litem, celle qui permet à une partie d’obtenir la condamnation de son adversaire au paiement provisionnel d’une somme lui permettant de faire face aux frais entraînés par le procès.
De prime abord on pourrait s’interroger sur la raison de cette exclusion là où le texte ne vise que la provision, sans distinction. Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus, mais, on le verra, cet arrêt de la deuxième chambre civile pourrait, et devrait, justement inviter à distinguer. Les arguments en faveur d’une thèse plutôt qu’une autre sont légion et parfois se neutralisent : le texte vise la provision qui peut être allouée à un créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable tandis que la provision ad litem n’est pas visée ; les obligations ont un objet distinct, dans le premier cas il est l’anticipation d’une obligation à paiement au titre d’une responsabilité encourue, dans l’autre celui de contribuer aux frais afin de faire face à un litige. Certes, mais le texte vise bien une pluralité de provisions : « elles ont trait aux provisions ». Oui, mais d’un autre côté l’article 795 du CPC ne se comprend qu’en perspective d’un article 789 auquel il renvoie, lequel distingue expressément le pouvoir du juge de la mise en état d’allouer une provision pour le procès (CPC, art. 789, 2°) de celui d’accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable (CPC, art. 789, 3°). Bien, mais si le créancier est celui qui sollicite la provision pour les frais du procès, pour quelle raison l’exclure et pourquoi, bien que le texte ne l’exige pas, ne pourrait-il pas plaider, aussi, que cette obligation à verser une provision pour les frais du procès n’est pas sérieusement contestable à l’instar, en référé, de l’article 835 du Code de procédure civile ? C’est en tout cas ce critère qui fut examiné dans l’affaire du Mediator pour l’allocation d’une provision pour frais d’instance, il est vrai dans le cadre cette fois d’un référé-expertise initié sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile : « l’analyse technique complexe nécessaire afin d’établir, le cas échéant, un lien de causalité entre la prise de Médiator et la pathologie développée par Mme Y… démontrait le caractère sérieusement contestable de l’obligation d’indemnisation de la société Servier, c’est à bon droit que la cour d’appel a rejeté la demande de provision pour frais d’instance » (Cass. 2e civ., 29 janv. 2015, n° 13-24.691, FS-P+B : JurisData n° 2015-001053 ; Procédures 2015, comm. 109, obs. Y. Strickler). Avec une différence de taille, l’appel immédiat de l’ordonnance de référé reste possible, article 490 du Code de procédure civile oblige.
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