À compter du 1er octobre 2025, entre en vigueur une réforme importante du régime des nullités en droit des sociétés, issue de l’ordonnance n°2025-229 du 12 mars 2025. Cette réforme vise à clarifier, simplifier et sécuriser un régime jusque-là marqué par une certaine complexité, tant sur le plan de ses causes que de ses effets. Dans un contexte où la sécurité juridique des actes et des structures est un enjeu central, cette réforme impose une vigilance renouvelée. La présente analyse a pour objectif d’en proposer une lecture pratique, destinée aux professionnels du droit et aux praticiens de la vie des sociétés. Elle n’a pas vocation à l’exhaustivité théorique, mais plutôt à servir de guide opérationnel permettant de : - identifier les situations susceptibles d’entraîner une nullité, - comprendre si cette nullité est encourue ou évitable, selon le régime applicable à sa cause, - et anticiper les effets d’une nullité prononcée,
Contexte et Objectifs de la Réforme
Des mesures permettant de « Simplifier et de clarifier le régime des nullités en matière de droit des sociétés, afin de renforcer la sécurité juridique de la constitution des sociétés, de leurs actes et délibérations ainsi que des règles qui y sont exposées » article 26, I, 1 de la loi du n° 2024-537 du 13 juin 2024
Constats :
- Ancien régime jugé complexe, source d’incertitudes et de risques pour les sociétés,
- Multiplication des nullités automatiques, parfois pour des irrégularités mineures, entraînant des « nullités en cascade » et fragilisant la stabilité des entreprises,
- Dualité et redondance des textes entre le code civil et le code de commerce, manque de clarté normative,
- Besoin de renforcer l’attractivité de la France pour les entreprises et d’harmoniser le droit français avec les standards européens (directive 2017/1132).
Objectifs :
- Renforcer la sécurité juridique des sociétés, simplifier et clarifier le régime des nullités en droit des sociétés,
- Réduction du contentieux abusif ou stratégique fondé sur des irrégularités mineures,
- Sécuriser les décisions sociales en limitant le caractère automatique de la nullité,
- Réduire les risques juridiques et éviter les conséquences disproportionnées pour la société, limiter les risques pour les parties prenantes (actionnaires, dirigeants, partenaires),
- Centraliser et harmoniser les règles dans le Code civil pour plus de lisibilité et harmonisation avec le droit européen,
- Modernisation et attractivité du droit français des sociétés.
A qui et à quoi s’applique la réforme?
- S’applique à toutes les sociétés civiles et commerciales
- Vise les décisions sociales, les actes modifiant les statuts, la constitution des sociétés et les apports
- Entrée en vigueur le 1er octobre 2025 (à l’exception de la sanction de la nullité des décisions collectives pour absence de désignation d’un auditeur des informations en matière de durabilité et la nullité applicable au non-respect de certaines dispositions du code de commerce relatives à la proportion minimale des administrateurs et membres du conseil de surveillance de chaque sexe qui entreront en vigueur au 1er janvier 2027)
- La réforme s’applique uniquement aux actes et décisions sociales pris à compter du 1er octobre 2025, sans effet rétroactif sur les situations antérieures: les actes antérieurs restent soumis à l’ancien régime.
Unification et clarification du régime :
- Suppression des dispositions générales et des règles spéciales du Code de commerce (abrogation des articles L. 235-1 à L. 235-14), désormais centralisés dans les articles 1844-10 et suivants du Code civil, qui deviennent le droit commun pour toutes les formes sociales.
- Maintien de certaines règles spécifiques dans le Code de commerce pour les opérations exceptionnelles (restructurations, augmentations de capital).
- Harmonisation avec la directive européenne 2017/1132, pour plus de sécurité et de prévisibilité.
Limitation du champ d’application et des causes de nullité :
- Distinction claire entre nullité des sociétés d’une part et nullité des apports et décisions sociales d’autre part, ces dernières étant désormais définies comme les actes décisionnels internes (et non plus tous les actes et délibérations).
- Harmonisation du régime de la nullité des apports sur celui de la décision sociale
- La réforme encadre strictement les causes de nullité. La sanction ne peut plus être prononcée que pour des cas limités
- Limitation du champ d’application:
Les conventions passées avec les tiers et les simples avis, opinions ou recommandations des instances internes ne sont plus regardés comme des décisions sociales et ne peuvent donc plus être susceptibles de nullité.
La violation des statuts n’est plus, sauf disposition légale contraire, une cause de nullité.
Les Causes de Nullité
Nullité de la société
- La nullité de la société ne peut désormais strictement résulter que :
- De l’incapacité de tous les fondateurs.
- De la violation des dispositions fixant un nombre minimal de deux associés.
- Les autres causes traditionnelles de nullité (absence d’éléments constitutifs, objet social illicite, violation du droit commun des contrats) sont écartées du champ de la nullité de la société. Les cas de fraude ou de fictivité ne sont pas expressément visés, mais pourraient être poursuivis sur d’autres fondements juridiques.
- Lorsque la nullité est caractérisée, le régime de la nullité de droit s’applique.
Nullité des décisions sociales
- La nullité des décisions sociales ne peut résulter que :
- De la violation d’une disposition impérative du droit des sociétés (à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833 du Code civil) ou d’une cause de nullité des contrats en général.
- La violation des statuts n’est plus une cause de nullité, sauf disposition légale contraire (pour les SAS, les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles internes, mais aucune action en nullité n’est possible hors de ces dispositions)
- Le prononcé de la nullité est soumis à un « triple test » ; il est facultatif, sauf si le droit spécial exclu expressément le régime de la nullité facultative.
Nullité des apports
- Le régime de la nullité des apports est aligné sur celui des décisions sociales.
- La nullité d’un apport entraîne l’annulation des parts sociales ou actions émises en contrepartie, ainsi que la restitution des engagements exécutés par l’apporteur.
- Si tous les apports sont annulés, la société est dissoute et liquidée.
Article 1844-10 du code civil : la consécration d’un double régime de nullité
La cohabitation de deux régimes: nullité de droit et nullité facultative
Lorsqu’une des causes de nullité est caractérisée, deux régimes peuvent s’appliquer : la nullité de droit et la nullité facultative.
1/La nullité de droit:
Toutes les causes de nullité de la société suivent le régime de la nullité de droit.
Le régime de la nullité de droit s’applique également pour tous les cas où le droit spécial exclu expressément le régime de la nullité facultative pour les décisions sociales.
Régime : la nullité de droit – article 1844-10 al.1 du code civil
2/La nullité facultative :
- Pour les apports, le régime de la nullité facultative s’applique systématiquement lorsqu’une cause de nullité est caractérisée.
- Pour les décisions sociales, le principe est le régime de la nullité facultative. Par exception, le régime de la nullité de droit s’applique uniquement si une disposition du droit spécial exclu expressément le régime de la nullité facultative.
Nouveaux pouvoirs du juge et proportionnalité :
La décision est dite facultative du fait de l’introduction d’un « triple test » (article 1844-12-1 du Code civil). Le juge doit désormais vérifier trois conditions cumulatives avant de prononcer la nullité de l’apport ou de la décision sociale :
- L’irrégularité a causé un grief au demandeur.
- L’irrégularité a influencé le contenu de la décision.
- Les conséquences de la nullité ne doivent pas être excessives pour la société au moment où elle est prononcée.
Renforcement du pouvoir du juge et restriction des effets de la nullité :
- Le juge peut désormais moduler les effets de la nullité, ou en différer l’application si leur rétroactivité entraînerait des conséquences manifestement excessives pour l’intérêt social, évitant ainsi les nullités en cascade.
- Le juge peut aussi accorder un délai de régularisation avant de prononcer la nullité.
- La nullité de la nomination ou du maintien irrégulier d’un organe ou d’un membre ne remet plus nécessairement en cause les décisions prises par cet organe.
Régime : La nullité facultative (décisions sociales et apports)
Les effets de la nullité de la société – article 1844-15 du code civil
Les effets de la nullité des apports – article 1844-10-1
Les effets de la nullité de la décision sociale
Article 1844-10 alinéa 2: Extension de la sanction du réputé non écrit aux clauses statuaires contraires
Extension de la sanction du « réputé non écrit »: vise les clauses ou stipulations contraires à une disposition impérative, mais qui ne justifient pas l’annulation de l’ensemble de l’acte ou de la société. La clause est alors considérée comme n’ayant jamais existé, sans affecter la validité du reste de l’acte ou de la société.
Réduction du délai de prescription
Le délai de prescription des actions en nullité passe de 3 ans à 2 ans.
Pour les nullités relatives aux augmentations de capital dans les SA, le délai de prescription est de 3 mois à compter de:
- la date de l’Assemblée Générale lors de laquelle le rapport sur les conditions définitives de l’opération est porté à la connaissance des actionnaires, lorsque l’augmentation de capital a fait l’objet d’une délégation de pouvoirs ou de compétence au conseil d’administration ou au directoire
- la date à laquelle la décision dont la régularité est contestée a été prise, dans tous les autres cas
Fiche articulation : comment identifier le régime et les conséquences de la nullité ?
Conclusion
Cette réforme marque une étape importante vers une simplification du droit applicable et un renforcement de la sécurité juridique des sociétés.
En encadrant strictement les causes de nullité, en abandonnant le principe de nullité automatique au profit du « triple test« pour grand nombre de causes de nullité, et en permettant au magistrat de limité les effets de la nullité le nouveau régime semble répondre à ses objectifs.
Toutefois, l’effectivité de cette réforme dépendra largement de son interprétation par la jurisprudence. Il faudra donc attendre les premières décisions pour apprécier la manière dont les magistrats s’empareront du triple test, et mesurer si l’objectif affiché de sécurité juridique se traduira dans la pratique.
Rendez-vous à l’anniversaire de la réforme pour une analyse jurisprudentielle !
Par Emma DAVET et Alice TAFFIN