Lors de l’édition 2025 de la Paris Arbitration Week, le Garde des Sceaux a annoncé une réforme du droit de l’arbitrage, issue des travaux du groupe codirigé par François Ancel (conseiller à la Cour de cassation) et le professeur Thomas Clay (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, arbitre).
Près de six mois après cette annonce, il semble que rien de concret ne soit encore apparu dans le radar des praticiens.
Pourtant, ce rapport formule 40 propositions, dont la création d’un Code de l’arbitrage.
Alors, ce projet de réforme mérite-t-il que nous allions plus loin ? La présente analyse propose quelques éléments de réponse, à la lumière des objectifs du rapport, des dynamiques du marché et des considérations juridiques.
Contexte et objectifs du rapport Ancel/Clay
Le groupe de travail, mis en place le 12 novembre 2024 par le ministre de la Justice, Didier Migaud, avait pour mission de moderniser le droit français de l’arbitrage, inchangé depuis la précédente réforme de 2011 (décret n° 2011-48).
Rendu en l’espace de quatre mois, le rapport traduit une volonté d’agir rapidement afin de conforter la position de Paris comme place majeure de l’arbitrage international, face à la concurrence de Londres, Singapour ou Hong Kong. Selon le préambule du rapport, l’objectif n’était pas seulement de codifier les évolutions jurisprudentielles intervenues depuis la précédente réforme de 2011, mais de « regarder vers l’avenir » en renforçant l’autonomie, la souplesse et l’efficacité du droit français de l’arbitrage.
La brièveté de ce délai témoignait à la fois de l’urgence politique et de la confiance placée dans l’expertise du groupe, composé de praticiens éminents, d’universitaires et de magistrats. La présentation du rapport lors de la Paris Arbitration Week 2025 a par ailleurs souligné une ambition d’aligner notre modèle français sur les pratiques existantes au niveau international en matière d’arbitrage, tout en consolidant l’attractivité de Paris. Toutefois, le statu quo observé depuis avril 2025 soulève des questions sur les obstacles politiques ou pratiques qui semblent entraver la réforme.
Une mesure au cœur de la réforme : la création d’un Code de l’arbitrage
La proposition centrale du rapport est sans doute la création d’un Code de l’arbitrage, regroupant les dispositions actuellement dispersées dans un grand nombre de textes, dont principalement les articles 1442 à 1527 du Code de procédure civile (CPC). Ce code, proposé « clé en main » avec 146 articles, vise ainsi à unifier les régimes interne et international de l’arbitrage et à consacrer l’arbitrage comme une discipline juridique autonome.
Plusieurs avantages méritent d’être soulignés :
- Une autonomie renforcée : Un code distinct renforcerait symboliquement et structurellement le droit de l’arbitrage, détachant son régime procédural des règles générales de procédure civile. Ceci s’inscrit dans une tradition française de soutien à l’arbitrage comme mode alternatif de règlement des litiges.
- L’unification des régimes : L’harmonisation des règles applicables à l’arbitrage interne et international permettrait de lever certaines incohérences, comme les différences d’exigences relatives aux conventions d’arbitrage prévues aux articles 1442 et 1507 du CPC, et offrirait ainsi une meilleure prévisibilité pour les praticiens et les parties.
- Accroitre l’attractivité de Paris : Un code moderne et unifié renforcerait l’attractivité de Paris face à des concurrents comme Londres ou Singapour. Paris bénéficie déjà d’un écosystème arbitral robuste (accueillant notamment le siège de la Chambre de Commerce Internationale et chaque année la Paris Arbitration Week), et la codification pourrait attirer davantage de litiges internationaux.
- Une meilleure lisibilité : Regrouper les dispositions éparses dans un seul code améliorerait l’accessibilité pour les parties et praticiens étrangers, souvent peu familiers du système juridique français.
La création d’un Code de l’arbitrage implique également de relever plusieurs défis :
- Une mise en œuvre complexe : L’élaboration et l’adoption d’un nouveau code nécessitent une large consultation, ce qui pourrait susciter des résistances de la part des acteurs habitués au cadre actuel offert par le Code de procédure civile, ce dernier étant en général de très bonne qualité.
- La résistance des praticiens : Certains arbitres et avocats pourraient préférer la souplesse du système actuel, dans lequel les évolutions jurisprudentielles (dont par exemple les arrêts de la Cour de cassation sur les motifs d’annulation de la sentence) offrent une certaine adaptabilité.
- La nécessité d’une coordination internationale : Le futur code devra respecter les normes internationales (par exemple, la loi-type de la CNUDCI, la Convention de New York) pour éviter d’isoler l’arbitrage français des pratiques internationales.
Cette proposition de codification semble ambitieuse mais réalisable, à condition de préserver un certain équilibre entre autonomie et compatibilité avec les cadres internationaux existants, en plus du Code de procédure civile français.
Des propositions « structurantes » et « substantielles »
Le rapport formule neuf propositions dites « structurantes » et trente propositions « substantielles », regroupées en trois catégories : promouvoir un arbitrage plus souple (1), plus protecteur (2) et plus efficace (3).
Bien qu’il ne soit pas possible ici d’analyser les 40 propositions, certaines peuvent être citées :
Propositions structurantes :
- Unification de l’arbitrage interne et international : Cette proposition a pour objectif de supprimer les distinctions entre les deux régimes pour créer un cadre cohérent, réduisant ainsi les complexités notamment dans les litiges transfrontaliers.
- Réforme du rôle du juge étatique : la réforme vise également à simplifier le rôle des tribunaux français dans l’accompagnement de l’arbitrage (par exemple, mesures provisoires, exécution) et limiter les causes d’annulation pour renforcer la finalité des sentences.
- Principes autonomes : Le projet propose de consacrer des principes directeurs propres à l’arbitrage (dont notamment l’autonomie des parties, ou l’équité procédurale) qui serviront de fondements au nouveau code.
Propositions substantielles :
- Plus de souplesse : pour atteindre cet objectif, la réforme propose notamment de simplifier les exigences relatives aux conventions d’arbitrage (forme et contenu) afin de faciliter l’accès à l’arbitrage, notamment pour les litiges qui présenteraient des enjeux moins importants.
- Plus de protection : Le projet renforce les garanties contre les conflits d’intérêts des arbitres et promeut la transparence dans l’arbitrage institutionnel, dont la nécessité de se conformer aux règles de la CCI.
- Plus d’efficacité : La réforme introduit des mécanismes pour accélérer les procédures, tels que des délais pour rendre les sentences ou des procédures simplifiées pour les litiges de faible valeur, afin de rivaliser avec des places arbitrales considérées comme plus rapides telle que Singapour.
Ces propositions visent à répondre à des défis contemporains, dont la nécessité d’une certaine célérité des procédures et leur transparence, tout en consolidant la jurisprudence française favorable à l’arbitrage.
État actuel et inaction post-rapport
Malgré la remise du rapport en mars 2025 et l’annonce officielle de la réforme en avril, force est de constater qu’aucun texte n’a vu le jour depuis. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette inaction.
Premièrement, l’instabilité gouvernementale que connaît le pays depuis plusieurs mois a sans doute freiné l’élan réformateur. Par ailleurs, il semble que les priorités actuelles se concentrent sur d’autres enjeux en matière civile (dont notamment les retards dans les tribunaux), mais surtout en matière pénale.
De plus, l’ampleur du rapport, notamment la proposition de créer un Code de l’arbitrage, exige une large consultation avec les parties prenantes (ordres des avocats, Chambre de commerce internationale, et magistrats notamment). L’objectif affiché d’atteindre un « bloc de consensus » à l’automne 2025 semble suggérer que des débats seraient toujours en cours.
Certains praticiens considèrent en effet qu’une codification serait superflue, étant donné la solidité de la jurisprudence française, tandis que d’autres jugent que certaines propositions pourraient présenter des risques.
Les points de controverse
La réforme a soulevé son lot de propositions, dont certaines ont particulièrement retenu l’attention des observateurs.
La réforme préconise notamment l’unification des régimes de l’arbitrage interne et international, tout en redéfinissant l’arbitrage international, qui ne serait plus lié aux « intérêts du commerce international » (art. 1504), mais aux « intérêts économiques internationaux ». Les contours exacts de cette nouvelle définition demeurent flous et pourraient se révéler source de contentieux.
Par essence, l’arbitrage international est pensé pour des litiges transfrontaliers, souvent complexes, impliquant des acteurs économiques de différents systèmes juridiques. La réforme semble vouloir étendre les règles traditionnellement libérales de l’arbitrage international, à l’arbitrage interne.
Or, cela reviendrait par exemple à permettre à deux sociétés françaises qui s’opposent dans litige né d’un contrat purement national, de bénéficier du même niveau de liberté que deux multinationales impliquées dans une transaction transfrontalière de plusieurs centaines de millions d’euros. Une telle assimilation pourrait fragiliser certaines garanties prévues en arbitrage interne, telle que la possibilité offerte aux parties de choisir l’appel comme voie de recours contre la sentence (article 1489 du Code de procédure civile).
Par ailleurs, la suppression de la compétence résiduelle du Président du tribunal de commerce en sa qualité de juge d’appui du tribunal arbitral a suscité de vives réactions.
En effet, l’article 1459 du Code de procédure civile prévoit actuellement que le juge d’appui compétent est par principe le président du tribunal judiciaire, tout en laissant par exception la possibilité aux parties désigner le président du tribunal de commerce, sauf pour statuer sur les demandes de récusation des arbitres.
Le rapport préconise la suppression de cette compétence résiduelle, considérée comme « obsolète », en soulignant que cette mesure s’inscrit dans la continuité de la proposition visant à élargir les pouvoirs du juge d’appui et qu’à ce titre, « il est important que cette juridiction se spécialise ».
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Le président du Tribunal des affaires économiques de Paris, Patrick Sayer, a notamment jugé cette proposition contraire tant aux fondements historiques qu’à l’esprit conventionnel de l’arbitrage. Il a par ailleurs relevé qu’elle semble entrer en contradiction avec la récente création des tribunaux des activités économiques, dont les compétences ont été élargies (P. Sayer, « Les tribunaux de commerce, juges d’appui en matière d’abritrage : être ou ne pas être ?, La Semaine juridique, 19 mai 2025, n°20, p.867).
Enfin, une dernière proposition, restée relativement discrète, mérite pourtant d’être commentée. Au nom d’une plus grande efficacité du droit de l’arbitrage, le projet de réforme préconise l’instauration d’un régime procédural autonome devant la Cour d’appel.
Pour rappel, le recours en annulation exercé en matière d’arbitrage interne et international est actuellement soumis aux règles applicables en matière de procédure contentieuse et prévues aux articles 900 à 930-1 du Code de procédure civile.
Le groupe de travail a relevé que cette organisation présente deux limites :
- Le droit de l’arbitrage demeure tributaire des réformes de la procédure d’appel, qui ne sont pas nécessairement élaborées en tenant compte de ses spécificités ;
- Les renvois aux dispositions régissant la procédure contentieuse réduisent la clarté du texte et en compliquent l’accès pour ceux qui ne maitrisaient pas le Code de procédure civile français.
Ces deux constats pourraient en effet justifier la mise en place d’un régime procédural propre à l’arbitrage. Néanmoins, un point devrait susciter l’attention.
L’article 92 du projet de Code de l’arbitrage propose la mise en place d’un calendrier impératif de procédure par le Conseiller de la mise en état, qui permettrait d’offrir de la visibilité aux parties s’agissant de la date de clôture de l’instruction, des plaidoiries, et de la mise à disposition de la décision.
En cas de non-respect de ce calendrier, sans motif légitime, elle préconise la mise en place de sanctions efficaces « telle qu’une amende civile d’un montant significatif adapté à la nature du contentieux », sans plus de précision sur son montant (page 70 du rapport).
La lecture de l’article 92 du projet de Code de l’arbitrage met en lumière une proposition jusqu’ici peu discutée, mais qui mérite débat. Si le texte conserve la sanction de la caducité du recours à l’égard du demandeur qui ne conclurait pas dans le délai de trois mois actuellement prévu par l’article 908 du Code de procédure civile, il écarte en revanche la sanction de l’irrecevabilité applicable au défendeur qui manquerait de conclure dans les trois mois suivant la notification des conclusions du demandeur, pour la remplacer par une amende.
Il apparaît que la suppression de la sanction de l’irrecevabilité au profit d’une simple amende risque de fragiliser l’efficacité de la procédure. Alors que l’irrecevabilité incitait fortement le défendeur à conclure dans le délai imparti, l’amende apparaît comme une sanction moins dissuasive, susceptible d’encourager des comportements dilatoires, en particulier pour des défendeurs disposant de ressources financières conséquentes.
Cela pourrait in fine entraîner un allongement des délais et nuire à l’objectif de célérité qui constitue pourtant l’un des atouts majeurs de l’arbitrage. De plus, cette asymétrie entre demandeur et défendeur au recours pourrait être perçue comme un déséquilibre procédural, source d’insécurité juridique et de contestations.
Pendant ce temps à Londres : l’Arbitration Act 2025
De l’autre côté de la Manche, l’Arbitration Act 2025 est entré en vigueur le 1er août 2025 en Angleterre, au Pays de Galle et en Irlande du Nord.
Il convient de souligner que, dans cette partie du monde, le droit de l’arbitrage n’avait pas connu de réforme majeure depuis 1996, ce qui rendait nécessaire sa modernisation. L’Arbitration Act 2025 traduit une volonté claire de consolider la position de Londres comme un acteur prépondérant de l’arbitrage.
Parmi les innovations introduites par la réforme anglaise, il est possible d’évoquer la mise en place d’une procédure d’arbitrage accéléré, permettant à l’arbitre de rendre une sentence sommaire sans trancher le fond de l’affaire, s’il apparaît qu’une demande (ou un moyen de défense à une demande) n’a aucune “réelle perspective de succès” (Summary disposal).
Paris et Londres semblent ainsi évoluer en parallèle : chacune des deux places ajuste son cadre juridique pour répondre aux standards internationaux et attirer les arbitrages internationaux. La France pourrait en profiter pour s’inspirer de ces évolutions et tirer parti de l’expérience britannique pour concevoir un Code de l’arbitrage cohérent, moderne et compétitif.
Les deux projets de réforme se rejoignent notamment par leur volonté de renforcer la transparence des procédures arbitrales. L’obligation de révélation des arbitres a en effet été étendue côté anglais, puisqu’il leur appartient désormais de dévoiler non seulement toute circonstance dont ils ont conscience, mais aussi celles dont ils auraient dû raisonnablement avoir conscience.
En France, cette volonté se traduit par une proposition visant à favoriser la transparence de la nomination des arbitres par le juge d’appui, notamment en prévoyant que soient annuellement publiés la liste des arbitres nommés par chaque juridiction. En revanche, l’obligation de révélation prévue à l’article 1456 du Code de procédure civile serait reprise in extenso au nouvel article 35 du Code de l’arbitrage.
Une disposition en particulier issue de l’Arbitration Act 2025 semble à contrecourant de notre modèle français : l’article 1er prévoit en effet qu’en absence d’accord des parties quant à la loi applicable à la convention d’arbitrage, la loi du lieu du siège de l’arbitrage doit s’appliquer.
Pour mémoire, depuis l’arrêt Dalico de 1993, le droit français de l’arbitrage retient au contraire l’autonomie de la clause compromissoire : l’appréciation du droit applicable à celle-ci doit ainsi s’effectuer selon la volonté commune des parties, sans qu’il ne soit nécessaire de se référer à une loi étatique. Le rapport Ancel/Clay recommande de sanctuariser ce principe pilier de l’attractivité de la France, en l’inscrivant formellement comme principe directeur du droit français de l’arbitrage.
Recommandations et perspectives
La réforme du droit français de l’arbitrage pourrait permettre de maintenir la position de Paris comme une place d’arbitrage incontournable, à condition que ce processus soit réfléchi et inclusif.
La création d’un Code de l’arbitrage est une proposition intéressante, car elle renforcerait la clarté et l’autonomie des règles applicables à l’arbitrage, s’inscrivant dans une tradition française de soutien à l’arbitrage. Toutefois, son succès dépendra de la prise en compte des préoccupations exprimées par les parties prenantes et de son alignement sur les normes internationales.
Il semble que certaines priorités puissent guider l’avancée de la réforme dans les mois à venir, afin de le rendre à la fois efficace et réaliste.
Parmi ces priorités, la codification ciblée apparaît comme un élément central. L’objectif serait de consolider les principales dispositions arbitrales dans un seul code, en se concentrant sur des domaines clés tels que les conventions d’arbitrage et l’exécution des sentences. Cette approche permettrait de structurer la matière sans surcharger les dispositions existantes et de rendre le cadre plus lisible pour les praticiens.
L’harmonisation progressive des régimes interne et international constitue également une priorité. Il s’agirait d’uniformiser graduellement les dispositions propres à chaque domaine, en commençant par les aspects procéduraux, tels les motifs d’annulation prévus aux articles 1492 et 1520 du CPC. Cette démarche vise à assurer une transition fluide vers le nouveau code.
L’efficacité et la transparence doivent être au cœur de la réforme. Cela inclut la mise en œuvre de procédures accélérées ainsi que des obligations de transparence pour les arbitres, afin d’aligner la pratique française sur les standards internationaux. Ces mesures devraient renforcer la confiance dans l’arbitrage et améliorer la compétitivité de Paris comme place de référence.
Enfin, une consultation élargie des acteurs du secteur est essentielle. Les praticiens, les institutions arbitrales, ainsi que les acteurs étrangers, devraient être associés à ce processus de réforme pour construire un consensus solide et répondre aux controverses soulevées notamment lors de la Paris Arbitration Week. Cette approche collaborative pourrait faciliter l’adoption du code et favoriser son acceptation au sein de la communauté arbitrale.
A cet égard, l’objectif d’un « bloc de consensus » à l’automne 2025 est ambitieux mais semble aujourd’hui irréalisable. Un calendrier plus réaliste pourrait s’articuler ainsi :
- 2026 : finalisation des consultations et rédaction des ajustements éventuels du projet de Code de l’arbitrage.
- Automne 2027 : adoption définitive du Code de l’arbitrage.
Concluons en indiquant que l’inaction est un risque pour la France qui pourrait céder du terrain à ses concurrents. Quoique deviennent les propositions du rapport Ancel/Clay, Paris doit consolider sa position de place de premier plan en offrant un cadre moderne et unifié aux procédures d’arbitrage.